intro : Au moyen âge, seuls certains fils de nobles destinés à devenir de futurs seigneurs avaient accès à une éducation, éducation dispensée par des organismes religieux comme des monastères. Ils apprenaient à lire et à écrire. Puis l’école est devenue publique, gratuite et laïque en 1881 grâce à Jules Ferry. Avec le temps, l'École a subi un processus de massification scolaire. De plus en plus de personnes ont eu accès à des études, d’abord dans le secondaire puis dans le supérieur car la durée des études s'est allongée. Cette massification scolaire a ensuite été suivie d’une démocratisation scolaire. Chaque élève a donc pu et peut toujours accéder à un nombre plus important de filières car la poursuite des études est accessible à tous quelle que soit l'origine sociale. De nos jours, la question ne se pose plus. Les études supérieures qu’elles soient technologiques ou générales sont de mise. Pourtant, les écoles privées abondent dans l'enseignement supérieur et des inégalités liées à l'origine sociale et au fonctionnement du marché de l'enseignement supérieur sévissent toujours. Cela m'a amené à me demander :
quelles caractéristiques font de l'enseignement supérieur un marché à forte influence sur les inégalités sociales ?
Pour cela, je vous propose d'abord de voir que le marché de l’enseignement supérieur à un fonctionnement similaire à celui du marché économique à quelques spécificités près. Nous verrons ensuite que les conséquences de ce fonctionnement sont une montée des inégalités que l’Etat tente de réguler.
1/ Les similitudes observées entre le marché concurrentiel et l'enseignement supérieur
A) l'enseignement supérieur peut être vu comme un marché des diplômes
Sur le marché du supérieur, les offreurs sont toutes les écoles et formations proposées par des groupes scolaires en fonction de leur coût de production pour offrir un diplôme. Ils rencontrent la demande. Elle est composée de tous les élèves en recherche d'études qui vont consommer les formations proposées en fonction de leurs envies et de leurs préférences pour obtenir un diplôme et faire un gain à l’échange. En 2024, 917 000 candidats ont postulé via la plateforme Parcoursup et constitué la demande. Chacun des agents cherche soit à rentabiliser le coût de la formation soit à obtenir une position sociale élevée à la sortie des études.
Il y a alors appariement car chaque offreur recherche un demandeur et inversement. Comme sur le marché concurrentiel, l’enseignement supérieur doit respecter 5 conditions afin de maximiser les gains à l’échange. Les 23 000 formations certifiées proposées sur Parcoursup respectent la condition d’atomicité. Ensuite, une formation peut tout à fait apparaître sur le marché à n’importe quel moment. Cela respecte la condition de fluidité. Les élèves sont mobiles et peuvent bénéficier de parcours de mobilité comme Erasmus. Mais il y a une moindre transparence des formations et des élèves qui posent un problème de double asymétrie d’information. Un des agents a alors plus d’information que l’autre et peut abuser de sa position pour se faire accepter dans une école. Les candidats doivent aussi faire une bonne sélection de formation pour obtenir un diplôme en rapport avec le niveau de salaire à la sortie des études. Finalement les formations ne sont pas homogènes puisque la variété des formations disponibles est l’atout majeur de l’enseignement supérieur.
De plus, comme sur un marché de biens et de services, le marché éducatif attire des investisseurs. On assiste à des fusions acquisitions de grands réseaux d'éducation. Les investisseurs sont attirés par ce marché car ils savent que le nombre d’étudiants ne risque pas de diminuer drastiquement dans les 10 prochaines années. Les écoles, elles, souhaite avoir des investisseurs afin de devenir plus compétitives, d’avoir une meilleure communication, plus d’équipement high-tech et finalement de pouvoir concurrencer les autres grands groupes de l’éducation déjà présents sur le marché.
B) les singularités de ce marché : qu'est-ce qui fait vraiment la valeur du produit ici le diplôme ?
Mais sur Parcoursup, on attribue aux étudiants une valeur, pas un prix, ce qui en fait une différence avec le marché concurrentiel. Par cela je veux dire que des classements sont fait en fonction de variables comme le rang dans la classe, la moyenne ou le lycée d’origine. Ce sont ces variables qui donnent lieu à un classement. Les étudiants travaillent pour obtenir leurs compétences, leurs qualités et leurs notes. Tout cela est acquis par la formation continue et prouvée par les bulletins scolaires ou à l’aide de concours d’entrée pour le supérieur. On songe par exemple au concours d’entrée post-bac des écoles d’ingénieurs. C’est ce qui évite les asymétries d’informations mentionnées plus haut. La valeur d’un élève se remarque donc par son travail. Il en va de même avec les écoles privées, il faut passer des tests et des entretiens avant de pouvoir intégrer le cursus.
Un fonctionnement similaire s'applique pour l'offre. Les formations sont classées en fonction de leur niveau d’éducation, du taux de diplômés, des salaires à la sortie de l’école ou encore du taux d’emploi lorsque l’on termine ses études. Cela montre que le travail prime encore sur l’argent.
De plus, on peut considérer les biens et services proposés par les formations comme un bien de positionnement. Cette notion signifie que c’est le rang dans un classement donné par des experts qui intéresse les demandeurs. Le contenu de la formation intéresse moins que la valeur associée à cette formation. On voit beaucoup ce phénomène avec les écoles de commerce. Valider son diplôme à HEC Paris est beaucoup plus prestigieux et reconnu que de le valider à Kedge qui est pourtant dans le top 10 des meilleures écoles de commerce en France.
Finalement, l’enseignement supérieur est un bien de club, c’est-à-dire un bien non-rival dans la limite des places disponibles et excluable. Il faut payer pour y accéder mais que lorsqu’on y accède on n’empêche pas les autres d’en profiter. C’est le cas des écoles privées. Une des conséquences est que le nombre d’effectif est limité. En effet, si une trop grande partie des élèves empruntent cette formation, l'effectif devient trop grand, il n’y a pas d’économie de réseau et le prestige associé à la formation diminue. La baisse du prestige fera donc baisser la demande associée à la formation car se sont les anciens élèves qui attirent les nouveaux. Mais d’un autre côté, si l'effectif est trop faible, il y aura un manque de moyens, de pairs et de professeurs. Le réseau alumni d'anciens élèves sera trop faible et fera aussi baisser le prestige de l’école.
On ne met pas de prix sur les étudiants. Il en va de même avec les formations car une formation prestigieuse peut tout à fait être gratuite pour l'étudiant. Les étudiants ne sont donc pas complètement des consommateurs et les formations ne sont pas des entreprises. Ce sont ces particularités qui font des études supérieures un marché à part. Mais la qualité des étudiants est censée refléter la valeur d'un diplôme. Pourtant les critères financiers influencent fortement l'accès aux études supérieures les plus cotées.
2/quelles conséquences ce fonctionnement a-t-il sur l'égalité des chances ?
A) par la capacité d'investissement éducatif au sens large insuffisante pour les familles des catégories populaires
De fait, avoir accès à des formations privées ou publiques grâce à de l’argent fait augmenter les inégalités dans le supérieur. L'accès aux diplômes est conditionné par le statut social familial. Dès le secondaire, les élèves ont déjà un niveau différencié. On appelle cela une stratégie familiale. Certains facteurs expliquent donc les différents choix et trajectoires sociales associées à ces choix. Une famille peut choisir de payer des cours privés à son enfant pour augmenter son niveau en parallèle de l’école ou lui faire prendre des cours de sport et de musique. D’autres parents sont mieux renseignés sur les études et peuvent accompagner leurs enfants ou alors vivent dans des quartiers qui leur donnent accès aux lycées les mieux classés. Donc si certains, qui payent peuvent rentrer dans des écoles plus prestigieuses et ont accès à des privilèges, tout n’est plus basé sur le mérite mais sur l’argent possédé par les familles. Celles-ci investissent dans l’éducation et le capital culturel de leurs enfants. On remarque donc qu’une socialisation différenciée aboutit à une orientation différenciée.
Chaque agent est un homoeconomicus. Dans les catégories sociales moins favorisées, les parents réalisent donc un calcul coût-avantage quant à la situation de leurs enfants. Le but est de peser les avantages et les inconvénients de chaque situation afin de faire un choix et que le statut social de son enfant soit au minimum égal voire supérieur au sien. Mais leurs ressources financières sont limitées et les prix de certaines formations jugées de l'excellence sont dissuasifs.
Et cela n'est pas le but premier de l'École. Elle doit aussi intégrer l’individu socialement, culturellement, démocratiquement et professionnellement. Les savoirs appris à l'École permettraient donc à chaque individu de passer librement d’un statut social hérité à un statut social acquis. La seule distinction serait le mérite individuel qui fait de ce système une méritocratie. Mais on le sait, ce modèle idéal n’est pas encore atteint.
B) par une action insuffisante de la part de l'Etat pour garantir l'égalité des chances malgré certains dispositifs
C’est pourquoi des politiques publiques sont mises en place. Pour cela, l’Etat octroie des bourses au mérite et relatives aux revenus. D’après le ministère de l’enseignement de l’enseignement supérieur, en France en 2023, 36% des étudiants étaient boursiers sur critères sociaux, soit environ un tiers des étudiants. L'Etat peut aussi certifier certains diplômes qui seront reconnus par la suite. Cela devrait éviter de créer des distinctions entre privé, public, gratuit ou payant. En France, on observe une dépréciation des universités au profit d’un cursus en école ou en prépa. En effet, on constate sur une étude du ministère de l’enseignement supérieur, qu’en 2023 il y a eu une baisse de fréquentation de 3,1% du public. Mais le nombre d’étudiants n’a pas baissé, il s’est transféré dans le privé où on observe une hausse de fréquentation de 3,3%. Cela montre que l'action étatique n'est pas suffisante pour réduire les inégalités liées au marché des diplômes.
conclu : En conclusion, l’enseignement supérieur est un marché, un marché des diplômes. Il fait se rencontrer des élèves et des formations dans le but de les apparier. Ce fonctionnement pose néanmoins plusieurs problèmes. Le premier étant celui de l’égalité des chances. Dans ce marché, tous les agents économiques ne partent pas à égalité. L'importance du secteur privé dans le supérieur introduit une dimension de sélection par l'argent qui est contraire à l'objectif annoncé d'égalité des chances et à la méritocratie comme fondement des positions sociales. L'Etat devrait-il donc investir plus dans le marché des diplômes ?